Transkript
LA NUTRITION DANS LA POPULATION DE MIGRATION
Alimentation chez les migrants en Suisse
Pedro-Manuel Marques-Vidal
En 2015, la Suisse comptait plus de deux millions d’étrangers. Il ya une grande diversité d’origine des migrants, associée à des niveaux socio-économiques assez contrastés, ce qui complique l’étude de l’alimentation chez les migrants. La rareté des instruments d’évaluation alimentaires disponibles en Suisse rend encore plus difficile l’analyse fine des comportements alimentaires des migrants.
Un niveau d’éducation élevé améliorait la qualité de l’ingestion alimentaire,
En 2015, la Suisse comptait plus de deux millions d’étrangers, les plus nombreux étant les italiens (311 700), les allemands (300 700) et les portugais (267 500). Le niveau d’éducation est également contrasté selon l’origine des personnes: ainsi, les alle-
alors qu’un niveau
mands ont un niveau d’éducation plutôt universitaire,
d’éducation bas
alors que les portugais ont un niveau d’éducation ob-
tendait à l’aggraver.
ligatoire ou secondaire. Cette grande diversité d’origine des migrants, associée à des niveaux socio-éco-
nomiques assez contrastés, complique l’étude de
l’alimentation chez les migrants. La rareté des instru-
ments d’évaluation alimentaires disponibles en Suisse
(questionnaires et tables de composition des aliments)
rend encore plus difficile l’analyse fine des comporte-
ments alimentaires des migrants.
Pour la plupart des migrants, des changements de
comportement alimentaire ont lieu durant leur séjour
dans le pays d’accueil. Tout en gardant une partie de
leur alimentation d’origine (facteur d’identité et de re-
groupement social), ils vont intégrer plus ou moins
rapidement des composantes alimentaires du pays
d’accueil (facteur d’intégration). Chez les migrants is-
sus de pays moins favorisés, s’y asso-
cient des changements alimentaires
Zusammenfassung
dictés par l’augmentation du pouvoir d’achat, les migrants pouvant s’offrir des
Stichwörter: Ernährungsgewohnheiten Migranten – Übergewicht – Umsetzung der Ernährungsempfehlungen
aliments considérés comme peu accessibles voire luxueux dans leur pays; une forte consommation de ce type d’aliments vise à démontrer le succès finan-
In der Schweiz leben mehr als zwei Millionen Ausländer. Die Ausbildung und der sozioökonomische Status zwischen den einzelnen Migrationsländern differieren stark. Dementsprechend schwierig ist es, die einzelnen Populationen für gesunde Ernährung zu sensibilisieren. Zudem hat es nur wenige Instrumente, um überhaupt Daten bezüglich der Ernährung zu sammeln.
cier de l’individu. A l’opposé, certains migrants réduiront au minimum leurs dépenses afin de pouvoir envoyer de l’argent dans leur pays d’origine, que ce soit pour soutenir leur famille ou construire une maison où ils passeront leur retraite. Ce dernier comportement influencera également les achats alimentaires, les préférences s’orientant alors vers des denrées alimentaires peu coû-
teuses. Il en résulte des comportements alimentaires hybrides, mêlant à la fois des composants du pays d’origine et du pays d’accueil, et un choix des denrées dicté par la volonté (ou pas) de dépenser son argent.
Alimentation chez les enfants de migrants
Peu d’études se sont intéressées à l’alimentation des enfants en Suisse, et encore moins aux enfants migrants. Grâce à un questionnaire de fréquence alimentaire spécifiquement conçu pour les enfants migrants (1), les équipes de Jardena Puder à Lausanne et de Susy Kriemler à Bâle ont pu analyser les comportements alimentaires et la composition corporelle chez plus de 500 enfants âgés entre 4 et 6 ans habitant les cantons de Vaud et de Saint-Gall (2). Les enfants issus de parents migrants consommaient plus de snacks et d’aliments gras que les autres; les enfants de parents migrants passaient également 15 minutes de plus devant la télévision que les autres, et mangeaient plus fréquemment devant la télévision que les autres. Bien que le pourcentage de surpoids ou d’obésité ne différait pas entre les enfants de parents migrants et les autres, le pourcentage et la quantité de graisse corporelle. Par contre, les enfants issus étaient légèrement plus élevés (+0,8% et +300 gr, respectivement) chez les premiers. En contrepartie, les enfants de parents migrants consommaient plus de fruits, probablement du fait que la plupart des migrants venait d’Europe du sud, où la consommation de fruits est traditionnellement importante. Finalement, aucune différence n’a été observée en ce qui concerne la consommation d’eau, de boissons caloriques, de légumes ou de produits sucrés comme les confiseries. Ce comportement était également influencé par le niveau d’éducation des parents: un niveau d’éducation élevé améliorait la qualité de l’ingestion alimentaire, alors qu’un niveau d’éducation bas tendait à l’aggraver (2).
6 Schweizer Zeitschrift für Ernährungsmedizin 3|2017
LA NUTRITION DANS LA POPULATION DE MIGRATION
Une autre étude conduite chez 463 enfants âgés de un an (3) a montré que les comportements d’allaitement maternel et de diversification alimentaire différaient entre migrantes et suissesses: les mères migrantes allaitaient leur enfant plus longtemps (4,8–4,9 mois contre 4,0 pour les suissesses) et avançaient l’âge d’introduction des fruits et légumes (5,1 mois contre 5,3 pour les suissesses). Par contre, le déficit en fer était plus fréquent chez les enfants de mère migrante (plus de 6,0% contre 3,1 pour les suissesses). Cette fréquence diminuait considérablement avec la durée de séjour en Suisse, passant de 12,1% chez les enfants dont les mères étaient en Suisse depuis moins de 5 ans à 6,6% chez les enfants dont les mères étaient en Suisse depuis plus de 5 ans (3). Une explication avancée par les auteurs serait que les mères migrantes auraient une alimentation moins diversifiée et probablement moins riche en fer. Cette diversité alimentaire serait d’autant plus faible que le niveau socio-économique des mères était bas, mais les auteurs n’ont pu vérifier cette hypothèse.
A B
Alimentation chez les migrants adultes
Contrairement aux enfants, le nombre d’études portant sur l’alimentation des migrants adultes est plus important et a porté sur un plus grand nombre de thématiques. Une étude portant sur la consommation de fruits et légumes selon le statut migratoire a montré que les personnes originaires de Turquie et du Kosovo avaient une consommation plus faible que les Suisses, alors que les autres nationalités ne montraient pas de différence (4). Une autre étude effectuée par l’Office fédéral de la santé publique a montré que, contrairement aux Suisses où les femmes consomment considérablement plus de fruits et légumes que les hommes, les différences entre sexes sont considérablement plus faibles chez les migrants (5). La raisons de ces différences sont que les migrants tendent à maintenir les habitudes alimentaires de leur pays d’origine ; ainsi, les migrants issus de pays dont la consommation de fruits et légumes est faible continueront de consommer peu ces aliments en Suisse, même si l’offre ou l’accessibilité à ces aliments est plus élevée dans leur pays d’accueil. La même étude a également montré une fréquence plus élevée de surpoids et d’obésité parmi les migrants (Figure 1), et une autre étude conduite à Lausanne a montré que les migrants sous-estimaient plus fréquemment leur poids que les Suisses (6). Concernant la compliance aux recommandations de la société suisse de nutrition, une étude réalisée à Lausanne a montré que les migrants respectaient plus souvent la plupart des recommandations, mais pas toutes (7) (Figure 2). Une autre étude a étudié des scores d’alimentation (score d’alimentation méditerranéenne ou alternative healthy eating index) et a montré que les migrants issus des pays du sud de l’Europe avaient des scores plus élevés que les Suisses (8). Finalement, une étude portant sur les barrières à l’adoption d’une alimentation saine n’a pas trouvé de différence
Figure 1: Fréquence du surpoids et de l’obésité chez les femmes (partie A) et les hommes (partie B). D’après l’office fédéral de la santé publique (5)
Figure 2: Compliance aux recommandations de la société suisse de nutrition (d’après [7])
Schweizer Zeitschrift für Ernährungsmedizin 3|2017 7
LA NUTRITION DANS LA POPULATION DE MIGRATION
majeure entre les migrants et les Suisses (9) (Figure 2). Ainsi, si on résume les résultats des différentes études, on constate que les migrants tendent à intégrer dans leur comportement alimentaire traditionnel certains comportements alimentaires de leur pays d’accueil. Ceci se traduit par la présence simultanée de «bons» et de «mauvais» comportements alimentaires issus du pays d’origine et du pays d’accueil.
Conclusion
Il existe peu d’études sur les habitudes alimentaires des migrants en Suisse. La plupart des données existantes montre que la consommation alimentaire des migrants varie selon leur pays d’origine mais également selon leur niveau d’éducation et selon la durée du séjour. Si les migrants issus du Sud de l’Europe tendent à présenter un comportement alimentaire plus favorable, il n’en est pas de même pour les migrants issus de l’Europe de l’Est ou d’autres continents. La plupart des migrants a présente des problèmes de surpoids et tend à sous-estimer ce fait.
Litérature: 1. Ebenegger V, Marques-Vidal P, Barral J, Kriemler S, Puder JJ, Nydegger A: Eating habits of preschool children with high migrant status in Switzerland according to a new food frequency questionnaire. Nutr Res 2010; 30 (2):104–109. 2. Ebenegger V, Marques-Vidal PM, Nydegger A, Laimbacher J, Niederer I, Burgi F et al.: Independent contribution of parental migrant status and educational level to adiposity and eating habits in preschool children. Eur J Clin Nutr 2011;65 (2): 210–218. 3. Verga ME, Widmeier-Pasche V, Beck-Popovic M, Pauchard JY, Gehri M: Iron deficiency in infancy: is an immigrant more at risk? Swiss Med Wkly 2014; 144: w14065. 4. Volken T, Ruesch P, Guggisberg J: Fruit and vegetable consumption among migrants in Switzerland. Public Health Nutr 2013; 16 (1): 156–163. 5. Office fédéral de la santé publique. Santé des migrantes et des migrants en Suisse. Principaux résultats du deuxième monitoring de l'état de santé de la population migrante en Suisse, 2010. Neuchâtel, Suisse; 2012 Avril. Contract No.: 316.201.f. 6. Rouiller N, Marques-Vidal P: Prevalence and determinants of weight misperception in an urban Swiss population. Swiss Med Wkly 2016; 146: w14364. 7. de Abreu D, Guessous I, Vaucher J, Preisig M, Waeber G, Vollenweider P et al.: Low compliance with dietary recommendations for food intake among adults. Clin Nutr 2013; 32 (5): 783–788. 8. Marques-Vidal P, Waeber G, Vollenweider P, Bochud M, Stringhini S, Guessous I: Sociodemographic and Behavioural Determinants of a Healthy Diet in Switzerland. Ann Nutr Metab 2015; 67 (2): 87–95. 9. de Mestral C, Stringhini S, Marques-Vidal P. Barriers to healthy eating in Switzerland: A nationwide study. Clin Nutr 2016; 35 (6): 1490–1498.
Adresse de correspondance: Prof. Pedro Manuel Marques-Vidal Quartier UNIL-CHUV Rue du Bugnon 21 1011 Lausanne E-mail: Pedro-Manuel.Marques-Vidal@chuv.ch
8 Schweizer Zeitschrift für Ernährungsmedizin 3|2017