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INTERVIEW
Interview avec Prof. Dr Kurt Hostettmann, professeur ordinaire de Pharmacognosie et Phytochimie, Université de Genève
M. le Professeur Hostettmann, vous avez fait une longue carrière dans la phytochimie. Quels sont les high-lights? Prof. Dr Kurt Hostettmann: La longueur de ma carrière, c’est 28 ans, 28 ans de professeur ordinaire déjà. Les high lights: Tout d’abord quand j’étais nommé professeur, j’ai beaucoup travaillé avec l’OMS pour trouver des substances pour lutter contre la schistosomiase qu’on appelle aussi la bilharziose. Et là j’ai eu des subventions importantes de l’OMS. Et c’est de là aussi que j’ai eu mon grand intérêt pour l’Afrique puisqu’on y a beaucoup travaillé. Et comme high light, on a trouvé une plante extrêmement efficace qui permet de tuer l’hôte intermédiaire de la schistosomiase, qui est un mollusque1.
Comment s’appelle cette plante? Hostettmann: Phytolacca dodecandra, pas Phytolacca decandra, qui est plus connue et plus souvent utilisée. Elle casse le cycle de vie du parasite. Lorsqu’on met cette plante dans l’eau, elle provoque de la mousse. Cette plante est d’ailleurs utilisée comme substitut du savon pour faire la lessive. Nous avons même fait des tests sur le terrain en Tanzanie en collaboration avec l’Institut Tropical Suisse à Bâle. Je suis très content de cette découverte car j’ai incité beaucoup de laboratoires en Afrique à utiliser des plantes locales pour essayer d’enrayer le développement des maladies parasitaires endémiques en Afrique. Un autre high light de ma carrière est un peu plus près de chez nous. Nous avons travaillé sur l’épilobe qui est utilisé en médecine populaire en Autriche. En particulier l’épilobe a été préconisé par la fameuse Maria Treben. Beaucoup de gens n’aiment
1 Remarque de la rédaction: mollusque: Wasserschnecke 2 Remarque de la rédaction: palmier nain: Sägepalme
Prof. Dr Kurt Hostettmann
pas trop l’auteur du fameux livre «Gesundheit aus der Apotheke Gottes». Mais cela m’a beaucoup intéressé. Nous avons fait une étude sur différentes espèces du genre épilobe, Epilobus parviflorum etc. et nous avons trouvé une molécule très intéressante qui est un tanin macrocyclique de structure chimique très, très compliquée. Cette molécule est un inhibiteur de la 5-αréductase...
Alors, le même effet comme le finastéride? Hostettmann: Exactement! Et elle agit aussi un peu comme inhibiteur de l’aromatase. Sur le niveau de nouvelles molécules découvertes, c’est une molécule fantastique. Et cela représentait aussi l’explication scientifique de l’utilisation de cette plante en médecine populaire, donc la justification de l’utilisation.
Aujourd’hui on ne parle plus tellement de l’épilobe, car le Serenoa repens est plus en vogue dans le traitement de la HBP.
Hostettmann: Mais, moi personnellement, je pense que l’épilobe est aussi efficace ou même plus efficace que le palmier nain2, donc Serenoa repens. Le problème, c’est simplement que les médicaments à base de palmier nain marchent bien et aucune maison pharmaceutique a voulu investir à développer un médicament à base de l’épilobe. Mais je pense qu’une tisane d’épilobe reste très efficace. Une piste intéressante est notre travail sur les gentianes. Les gentianes m’ont accompagné pendant toutes mes 28 ans de recherches scientifiques. Elles sont connues comme digestifs. Mais nous, on s’est inspiré un peu de la médecine ayurvédique. En Inde, dans la région de l’Himalaya, il y a beaucoup de gentianes. On les utilise pour le traitement de la mélancolie grave, qui représente le terme ancien pour qualifier la dépression. Nous avons donc étudié différentes espèces pour voir si elles avaient un effet antidépresseur.
Alors, il s’agit d’un concurrent du millepertuis? Hostettmann: Peut-être, mais c’est de nouveau la même chose. Personne ne s’intéresse à la gentiane en tant qu’antidépresseur! Et nous avons trouvé des inhibiteurs très puissants, sélectifs et réversibles de la monoaminoxidase type A.
Donc des MAO A? Hostettmann: Exactement! On a fait quelques publications dans ce domaine. Dernièrement, toujours dans des gentianes, on a trouvé des inhibiteurs réversibles de l’acetylcholinestérase. Ceci pourrait ouvrir la porte à de nouveaux médicaments contre la démence et la maladie d’Alzheimer. Certaines de ces substances ont dans des tests in vitro la même activité qu’une substance commercialisée, la galanthamine.
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PHYTOTHERAPIE
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Donc, la gentiane est une plante très intéressante avec laquelle on peut travailler encore beaucoup. Dans les inhibiteurs de l’acetylcholinestérase, on a trouvé un produit qui est très actif, qui est en test pharmacologique maintenant. Cette substance se trouve dans l’impératoire3 (Peucedanum ostruthium) et est actuellement testée dans des modèles in vivo.
Quelles sont les priorités actuelles de vos recherches phytochimiques et phytothérapeutiques? Hostettmann: Nous avons actuellement deux axes: 1) Toutes les maladies liées au vieillisse-
ment de la population. Le plus grand de nos soucis est la maladie d’Alzheimer. J’ai mis passablement de chercheurs sur ce thème. On a quelques succès, car on a trouvé une substance qui a une activité in vitro équivalente à la galanthamine. Et nous ne nous concentrons pas uniquement sur l’acetylcholinestérase. Nous cherchons pour le moment aussi des inhibiteurs de la β-sécrétase. Il faut encore faire beaucoup de recherches car les médicaments actuellement commercialisés n’arrivent pas au bout d’Alzheimer. Et toujours dans les médicaments contre le vieillissement, on a travaillé sur les phytoestrogènes. Quelqu’un chez moi a fait une thèse et a recherché dans quelle mesure, un jour, on pourra employer les phytoestrogènes à la place de l’hormonothérapie de substitution. A part l’hyperplasie bénigne de la prostate, on s’intéresse beaucoup au sujet des capteurs des radicaux libres qui peuvent aussi intéresser l’industrie cosmétique. 2) Un deuxième axe de nos recherches sont les maladies négligées (neglected diseases). C’est aussi la raison pour laquelle nous avons des stagiaires africains chez nous. Les maladies négligées sont des maladies auxquelles personne ne s’intéresse car on ne peut pas gagner beaucoup d’argent avec les médicaments contre
3 Remarque de la rédaction: impératoire: Meisterwurz 4 Remarque de la rédaction: If: Eibe 5 Remarque de la rédaction: perce-neige: Schneeglöckchen 6 Remarque de la rédaction: jonquille: Osterglocke oder Narzisse
ces maladies. Un exemple typique de maladie négligée est la leishmaniose. 3) Il faut citer encore un troisième axe de mon laboratoire auquel je tiens beaucoup: c’est le contrôle de qualité, la mise au point des méthodes analytiques pour le contrôle de qualité des plantes médicinales et des phytomédicaments.
Vous avez étudié d’abord la chimie. Quand est-ce que vous avez commencé à vous intéresser à la phytochimie? Est-ce que c’était plutôt un hasard que vous avez commencé à travailler avec les substances naturelles ou bien y avait-il une expérience clé comme l’apôtre Paul? Hostettmann: (Rire) C’est une très jolie question! Oui, j’ai fait d’abord des études de chimie avec une spécialisation en chimie organique. Mais j’ai toujours été attiré par la nature, peut-être par mes origines paysannes où à la maison on se soignait par des plantes. Lorsque j’ai dû choisir ma formation doctorale, j’ai décidé de faire une thèse dans le domaine des plantes. C’était à Neuchâtel où les instituts de botanique et de chimie s’intéressaient à la chimiotaxonomie des gentianes. Mais ce n’était pas du tout pharmaceutique, il s’agissait simplement de trouver de nouvelles molécules pour des raisons de classification botanique. J’ai donc fait un travail de chimiotaxonomie. On a voulu comparer des différentes espèces de gentiane. C’est là que j’ai appris mon métier de phytochimiste.
Alors, c’était le début de votre carrière en phytochimie? Hostettmann: Exact! Après ma thèse j’ai fait un stage postdoctoral aux USA, à la Colombia University à New York. J’ai travaillé dans un département de natural products chemistry où on a travaillé sur des plantes africaines. C’est ici qu’est née ma passion pour l’Afrique et les maladies parasitaires tropicales.
Quand on regarde les milliers de substances synthétisées par la nature, est-ce qu’il y a une stratégie derrière? Est-ce qu’il y a des genres de substances que la nature produit et d’autres qu’elle ne produirait jamais? Hostettmann: Certainement. Regardons les inhibiteurs de l’acetylcholinestérase dont on a parlé. Une plante synthétise ces substances pour se défendre. La plupart
des insecticides sont des inhibiteurs de l’acetylcholinestérase. Les substances d’intérêt thérapeutique pour nous les hommes sont souvent des substances de défense pour les plantes.
Est-ce que la nature, sur le niveau de la synthèse, prend d’autres chemins que les laboratoires de chimie? Une fois quelqu’un a dit, je crois que c’était le Prof. Steinegger, que la nature a le temps et elle ne doit pas économiser. Hostettmann: Oui, c’est clair, la nature fait des molécules extrêmement compliquées comme le taxol par exemple, qu’on a trouvé dans l’if4, Taxus brevifolia. C’est l’if qui fait le taxol. Aucun chimiste n’aurait l’idée de faire une molécule comme le taxol, car la structure est très compliquée. Il y a encore beaucoup d’autres exemples, comme par exemple l’artémisinine qui se trouve dans un médicament contre le paludisme. C’est une molécule qui est relativement simple, mais qui contient une fonction peroxyde. Et c’est plus économique de cultiver la plante et d’extraire l’artémisinine que de synthétiser cette substance. On a parlé de la galanthamine. Elle vient de Galanthus nivalis, de la perce-neige5 à l’origine. Quand ce produit a été lancé sur le marché pour ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer, on a extrait la galanthamine de la jonquille6, de la narcisse, car le bulbe de la jonquille est beaucoup plus grand que celui de la perce-neige. Au début, on ne réussissait pas à synthétiser la galanthamine. Mais deux ou trois ans plus tard, on a trouvé une voie de synthèse économique. Voilà la situation quand on a besoin d’une seule molécule pure. Mais passons à la plante la plus utilisée au monde, Ginkgo biloba. Personne n’a l’idée de synthétiser une seule molécule du Ginkgo parce qu’on a réalisé qu’il y a ici tout un mélange de substances qui agissent sur des cibles pharmacologiques différentes. Au contraire d’une substance synthétisée, on a l’avantage que les extraits de plantes, qui aujourd’hui sont souvent des extraits standardisés, agissent sur toute une série de cibles pharmacologiques différentes.
Voilà le mot pour la prochaine question: Dans un médicament phytothérapeutique le principe actif est l’extrait entier, un «coctail» de substances. Pourquoi un tel «mélange» de substances est mieux en accord
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avec la nature de l’homme qu’une seule substance synthétisée comme les principes actifs synthétiques? Hostettmann: Je crois que cela est une question assez complexe: quand par exemple on administre une substance comme le taxol, une substance anticancéreuse très toxique, on doit l’administrer à un dosage extrêmement précis. Là, on prend une substance pure, personne n’aurait l’idée d’administrer un extrait à une personne qui a le cancer. Imaginez-vous le dégât que ça ferait si on prenait une tisane d’if! Quand une substance a une marge thérapeutique extrêmement étroite, vous êtes obligés de travailler avec des monosubstances. Mais c’est l’avantage de la phytothérapie, car souvent quand on administre une seule substance on essaie par exemple d’inhiber
une seule enzyme. Mais le caractère de la maladie est souvent beaucoup plus complexe et la maladie est mieux contrée par la phytothérapie qui utilise des extraits. Et d’ailleurs certaines substances dans ce cocktail, comme vous dites, ne sont pas des principes actifs, mais elles aident par exemple à la résorption des substances actives, donc à la biodisponibilité.
Quel sera le futur de la phytochmie/ phytothérapie? Est-ce que vous croyez que dans la forêt vierge en Amérique du sud ou n’importe ou dans le monde il y a la substance encore à découvrir qui combattra le cancer? Hostettmann: On n’a encore rien trouvé! Parce que, selon les sources, il existe à peu près 350 000 plantes sur la terre, et environ 10% ont été étudiées à fond sur les plans
phytochimique et pharmacologique. Et chaque plante peut contenir plusieurs milliers de molécules. Alors d’après moi, on est au début. Je crois que la phytothérapie et la phytochimie ont encore un immense avenir malgré les progrès dans les domaines de la biotechnologie, de la génomique et de la génétique.
C’est une très jolie fin de notre discussion: Donc après votre retraite qui aura lieu au mois de septembre, il y aura encore beaucoup à travailler et à rechercher! M. le Professeur Hostettmann, je vous remercie beaucoup de cette interview!
Les questions ont été posées par Dr C. Bachmann