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De la nécessité d’un soutien aux parents qui ont un enfant avec autisme
L’autisme est un trouble neuro-développemental d’origine biologique caractérisé par une altération de la communication et des interactions sociales et la présence de comportements ou d’intérêts restreints et répétitifs. Julia Erskine Poget est psychologue FSP. Elle travaille à Genève, principalement dans le cadre d’interventions à domicile auprès de familles ayant un enfant avec autisme. Dans cet article elle expose les besoins de ces familles et les soutiens pouvant leur être apportés.
Julia Erskine Poget
Julia Erskine Poget
L a présence d’un enfant avec autisme affecte profondément le cours de la vie familiale. Les besoins exprimés par les familles touchent à tous les domaines du quotidien et sont extrêmement variés. Le travail du praticien auprès de ces familles est, par conséquent, aussi riche et diversifié que leurs demandes. En Suisse, l’accompagnement des familles et le soutien offerts aux parents peuvent varier nettement d’une région à l’autre. Mes propos sont uniquement le reflet de mon expérience personnelle auprès des familles dans le canton de Genève et ne relèvent pas d’une enquête systématique. Ils illustrent toutefois les besoins que de nombreuses familles auront tout au long de leur parcours, et débouchent sur des suggestions applicables à une plus large échelle. Le récit suivant met en évidence les difficultés qu’une famille peut rencontrer: ll y a trois ans, j’ai reçu un coup de téléphone d’une maman fatiguée et débordée par certains comportements de son enfant de huit ans atteint d’un trouble du spectre de l’autisme sévère (scolarisé en centre de jour). Elle et son mari étaient à la recherche d’une professionnelle qui pourrait les aider à faire face à leur situation très difficile à domicile. Malheureusement, mon agenda était complet et il m’était impossible de suivre une nouvelle famille. Je leur ai donné le nom de quelques personnes ou cabinets qui pourraient éventuellement répondre à leur demande. Une année plus tard, cette maman me rappelle. Elle n’avait pas trouvé de soutien et les comportements de son enfant avaient empiré. Je suis alors intervenue auprès de la famille en proposant un ‘coaching’ parental hebdomadaire d’une heure à domicile, n’ayant que ce temps-là à disposition. Nous travaillons ensemble depuis maintenant un peu plus d’une année. Certains comportements très difficiles de l’enfant ont nettement diminué, mais la situation générale de la famille – notamment l’absence de solutions de répit, la vie dans un appartement trop petit et la souffrance de la fratrie – s’est peu améliorée. De surcroît, mon
intervention est venue alourdir un budget familial déjà serré. Ce tableau s’accorde avec les résultats des recherches menées auprès de familles ayant un enfant avec autisme, qui état de difficultés quotidiennes, de stress parental et familial élevé, d’un manque de soutien social et d’un risque de divorce plus important (2, 4, 5, 6, 8). Environ dix pour cent des parents ayant un enfant avec autisme d’âge préscolaire mentionnent que le stress est si important que parfois ils ne pensent pas pouvoir faire face (9).
Les demandes de soutien énoncées par les parents Au cours d’années de pratique à domicile, j’ai pu constater l’ampleur et la diversité des besoins des familles. Leurs demandes concernent, par exemple: G Les compétences cognitives de leur enfant:
«Comment pouvons-nous, à la maison, l’aider à lui apprendre à parler?» G Son développement affectif et social: «Comment pouvons-nous jouer avec lui?» G Son comportement: «Elle joue toute la journée avec le smartphone ou la tablette et nous ne pouvons pas lui enlever ces objets sinon elle fait des crises terribles. Que pouvonsnous faire?» «Il a onze ans et il me tape encore. Je suis à bout.» G Son autonomie: «Nous aimerions qu’il apprenne à s’habiller.» «Pourquoi est-ce qu’il se déshabille et fait encore pipi par terre à huit ans? Comment pouvons-nous empêcher cela?» G Ses besoins physiologiques: «Il ne mange que des aliments blancs, purée de pomme de terre, pâtes, bananes, riz. Il est tout le temps constipé. Nous aimerions qu’il mange des légumes et des fruits.» «Chaque soir, il faut rester à côté de lui pendant une ou deux heures pour qu’il s’endorme. Y a-t-il moyen que cela change?»
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G Le logement familial: «Nous avons très peur, car les voisins se plaignent que notre fille fait trop de bruit. Comme nous sommes des étrangers, nous craignons que la régie ne résilie notre bail. Que pouvons-nous faire?»
G Les ressources financières: «Nous aimerions bien envoyer notre fils faire un camp de vacances cet été avec un organisme spécialisé, mais nous n’en avons pas les moyens. Savezvous qui pourrait nous aider?»
G La relation de couple: «Ma femme ne comprend pas qu’il ne faut pas toujours céder à cet enfant. Pourriez-vous lui expliquer?»
Les besoins des familles vont bien au-delà des besoins éducatifs de leur enfant avec autisme, et les parents sont tout le temps sur le pont: ils sont livrés au doute avant le diagnostic, plongés dès le diagnostic dans la jungle d’internet, des services médicaux, thérapeutiques, éducatifs, administratifs et sociaux et des interventions de tous types, entourés de personnes (y compris des professionnels) leur donnant de nombreux conseils parfois contradictoires ou peu réalistes, confrontés aux réactions de leur environnement immédiat (fratrie, parents proches, voisins) et à des dépenses supplémentaires engendrées au minimum par l’absence de services parascolaires pour les enfants avec autisme (à Genève), amenés par la force des choses à consacrer une grande partie de leur temps à cet enfant différent, et ils doivent sans cesse s’adapter à son évolution atypique et aux changements d’interlocuteurs liés à cette évolution.
Les soutiens apportés aux familles A Genève, les parents qui commencent leur ‘parcours du combattant’ se déplacent dans un grand labyrinthe de ressources dispersées et cloisonnées, parsemé de nombreux «culs-de-sac» (mauvais interlocuteur, listes d’attente, etc.). Alors qu’ils devraient pouvoir s’appuyer sur un service à même de les guider en fonction de leurs besoins, ce sont souvent eux qui doivent partir en quête des services qui leur seront utiles. Petit à petit, parfois au prix de leur couple ou de leur santé, ils se «professionnalisent» et deviennent relativement experts de leur propre situation. S’ils en ont la possibilité et encore assez d’énergie, certains vont transmettre cette expertise à d’autres parents, par exemple via une association de parents d’enfants avec autisme. Toutes les recommandations de bonnes pratiques mentionnent l’importance de tenir compte de la famille lors des interventions. Il existe dans différents pays de nombreux types d’interventions et des programmes destinés, notamment, à soutenir les parents d’enfants d’âge préscolaire (1, 3, 7). En Suisse, la situation varie selon les régions (par exemple, application du FIAS à Bâle, et du FIVTI à Zürich, 11). A Genève, elle est relativement bonne pour les familles ayant un enfant d’âge préscolaire, comparée à celle des familles avec un enfant plus âgé. Différents services, liés aux secteurs de la santé ou de l’éducation, proposent des soutiens variés à ces «nouvelles» familles (soutien parent-enfant à domicile ou en cabinet, transmission de listes d’intervenants et d’informations générales, assistance sociale). Ces services restent toutefois relativement dispersés et le man-
que de moyens publics limite les prestations offertes. Une collaboration entre un partenaire privé (la Fondation Pôle Autisme) et l’Etat (Office médico-pédagogique/OMP, département de l’instruction publique) a permis d’ouvrir plusieurs Centres d’intervention précoce en autisme/CIPA (actuellement 33 places1) où les enfants d’âge préscolaire sont suivis de manière intensive pendant deux ans selon l’approche Early Start Denver Model/ESDM (10, 12). Des visites à domicile ont lieu une fois par mois et les parents se rendent régulièrement au CIPA pour des séances de coaching. La première année les parents ont accès au programme de P-ESDM, d’une durée de 12 semaines (une heure/semaine de coaching parental avec l’enfant), qui vise à faciliter les interactions parent-enfant et à aider les parents à acquérir une meilleure connaissance de l’autisme. Les familles ont accès à deux centres de consultations spécialisés en autisme et troubles développementaux également mis sur pied grâce à un partenariat entre la Fondation Pôle Autisme et l’OMP, ainsi qu’aux consultations de secteur de l’OMP. La priorité dans les centres spécialisés est donnée aux enfants les plus jeunes. Une fois l'enfant en âge de scolarisation l’accès à ces consultations se fait par le biais d’une liste d’attente et le soutien familial se raréfie, alors que les besoins sont souvent très importants. La dispersion des services au sein de différentes entités vient encore compliquer la situation. Les familles qui ont accès aux consultations spécialisées se voient proposer un suivi au moins quatre fois par an et un soutien pour les démarches administratives. Les écoles spécialisées, qui accueillent une grande partie des enfants avec autisme, n’ont ni le mandat ni les moyens de construire et de mener un réel projet d’accompagnement des familles centré sur leurs problématiques quotidiennes. Dans les faits, on constate à Genève que différents besoins importants des familles ne sont pas satisfaits par les services publics, notamment l’accès à des formations et l’accès facilité à des informations tout au long du parcours de vie de leur enfant, ainsi que l’accès à des solutions de garde en dehors des heures scolaires. De nombreuses familles sont donc amenées à se tourner vers des services privés pour trouver des réponses concrètes à leurs demandes.
Les connaissances nécessaires à l’accompagnement des familles L’accompagnement des familles requiert des connaissances dans différents domaines: G L’intervention auprès des jeunes avec autisme (stra-
tégies d’intervention en milieu naturel liées au courant socio-pragmatiques, stratégies plus structurées liées au courant comportemental). G La transmission des compétences aux parents. G Les droits des familles. G Les ressources régionales dans des secteurs aussi variés que les thérapies, les loisirs, les écoles, les institutions spécialisées et la formation du jeune avec autisme en fin de scolarité. Les personnes intervenant auprès des familles doivent acquérir la plupart de ces connaissances en dehors des
1 A ces places s’ajoutent six places dans le nouveau «CIPA Ultra Précoce», pour les enfants à risque d’autisme de moins de 18 mois.
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cursus de formation de base, souvent à leurs frais (e.g. Certificate of Advanced Studies/CAS en autisme, cours proposés par les associations de parents, cours de formation continue proposés par certaines Hautes écoles), ainsi que sur le terrain. Une seule personne peut rarement apporter à une famille tout ce dont elle a besoin.
Propositions pour combler les lacunes Une manière de combler les lacunes du système actuel serait de mettre sur pied: G Un service de ressources pour les parents avec un
centre de compétences qui puisse assurer gratuitement un certain nombre de prestations et, au besoin, rediriger les parents sur les bonnes instances; ce service devrait offrir au minimum aux parents: – des modules de formation sur l’autisme, sur les
différents types d’interventions scientifiquement validées et sur les droits des familles, – un accès direct aux services sociaux, à des évaluations, des examens et des soins médicaux donnés par des professionnels connaissant l’autisme, – un ensemble de renseignements (spécifiques à chaque canton) concernant les assurances sociales, les écoles, les interventions psycho-éducatives disponibles, les possibilités de loisirs, de formations et de logement pour la personne avec autisme, et les solutions de répit pour la famille. G Un service de formation au soutien à domicile pour les professionnels, incluant des stages en famille avec un professionnel déjà formé. G Un registre de personnes formées remboursées par les assurances (ce qui permettrait également des interventions d’urgence). G Un centre résidentiel pour enfants et adolescents avec autisme ouvert à des séjours courts et disposant également de plusieurs places en cas d’urgence, afin d’offrir aux familles un peu de répit. Une certaine ‘masse critique’ de population est sans doute nécessaire pour assurer la mise en place et le bon fonctionnement de ces prestations. L’idéal serait la création d’un centre romand disposant d’antennes régionales.
Le bien-être, dans notre société, n’échappe pas à la loi
de l’équilibre coûts-bénéfices. Bien que la création de
ces nouvelles prestations ait un coût, la dispersion ac-
tuelle des services, les effets du stress sur la santé phy-
sique et psychique des familles manquant de soutien
et les mesures d’urgence adoptées lorsqu’un jeune
avec autisme est en crise ont également un coût. Le
bien-être de la famille et de la personne avec autisme,
lui, ne se calcule pas, mais représente un bénéfice im-
mense.
G
Correspondance:
Julia Erskine Poget
psychologue FSP
E-Mail: erskinepoget@bluewin.ch
Références:
1. Brookman-Frazee L, Stahmer A, Baker-Ericzen MJ & Tsai K: Parenting interventions for children with autism spectrum and disruptive behavior disorders: opportunities for cross-fertilization. Clinical Child and Family Psychology Review 2006, 9(3-4), 181–200.
2. Cassidy A, McConkey R, Truesdale-Kennedy M, & Slevin E: Preschoolers with autism spectrum disorders: the impact on families and the supports available to them. Early Child Development and Care 2008, 178(2), 115–128.
3. Erskine Poget J: Transmission de connaissances et de compétences spécifiques aux parents d’un enfant avec un trouble du spectre de l’autisme: revue de la littérature et suggestions 2014. Genève: Auteur (erskinepoget@bluewin.ch).
4. Estes A, Munson J, Dawson G, Koehler E, Zhou X., & Abbot R: Parenting stress and psychological functioning among mothers of preschool children with autism and developmental delay. Autism 2009, 13(4), 375–387.
5. Hartley SL, Barker ET, Seltzer MM, Floyd F, Greenberg J, Orsmond G & Bolt D: The relative risk and timing of divorce in families of children with an autism spectrum disorder. Journal of Family Psychology 2010, 24(4), 449–457.
6. Karst JS & Vaughan Van Hecke A: Parent and family impact of autism spectrum disorders: a review and proposed model for intervention evaluation. Clinical Child and Family Psychology Review 2012, 15, 247–277.
7. Oono IP, Honey EJ & McConachie H: Parent-mediated early intervention for young children with autism spectrum disorders (ASD). Cochrane Database of Systematic Reviews 2013, Issue 4. Art. No.: CD009774. doi: 10.1002/14651858.CD009774
8. Sénéchal C & des Rivières-Pigeon C: Impact de l’autisme sur la vie des parents. Santé mentale au Québec 2009, 34(1), 245–260.
9. Silva LMT & Schalock M: Autism Parenting Stress Index: initial psychometric evidence. Journal of Autism and Developmental Disorders 2012, 42, 566–574.
10. Wood de Wilde H, Costes A & Franchini M: Le Centre d’Intervention Précoce en Autisme de Genève et l’approche du Early Start Denver Model. Revue suisse de pédagogie spécialisée 2018, 1, 8–15.
11. Schmeck K, Felder W & Herbrecht E: Frühinterventionen bei Autismus-Spektrum Störungen. Psychatrie & Neurologie 2014, 2, 27–31.
12. Dawson G, Rogers S & Vismara L: L’intervention précoce en autisme pour les parents avec le modèle de Denver (traduit par B. Rogé). France: Dunod. 2016.
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